Les hélices Ratier métalliques.

 

Des hélices métalliques ont été utilisées dès les débuts de l'aviation, pendant la première décennie du XXe siècle : elles étaient construites en tôle d'acier ou d'aluminium soudée ou rivetée à des bras en acier. Elles ont rapidement été remplacées par des hélices en bois car les vibrations des moteurs provoquaient une "déstructuration" du métal qui conduisait à des ruptures soudaines et très dangereuses. Les milliers d'hélices (120 à 260 000 selon les auteurs) construites pendant la guerre de 14-18 le seront toutes en bois, la plupart selon la méthode qui consiste à les fabriquer à partir de planches contrecollées.
Les hélices en bois résistent bien aux vibrations, mais elles sont par contre sensibles aux chocs. La pluie et la grêle ne sont pas un problème avant la guerre de 14, car on vole seulement par beau temps. Mais les cailloux soulevés par les roues lors des phases de roulage, et, en ce qui concerne les hydravions, les embruns ou le contact avec l'eau, sont autant de sources de destruction plus ou moins rapide du bord d'attaque.
Malgré l'augmentation de la puissance des moteurs et de leur vitesse de rotation, le problème de la protection des hélices des avions engagés dans les combats ne se pose pas vraiment : la durée de vie des avions est trop faible pour que celle de l'hélice soit un facteur limitant.
Ce sont donc d'abord les hélices destinées aux écoles de pilotage, dont les avions passent beaucoup de temps à rouler, et celles destinées aux hydravions, qu'il s'avère utile de blinder. Plusieurs méthodes de protection ont été essayées : toile imprégnée de vernis, cuir ou parchemin et, bien sûr, métal.

D'un usage limité au renforcement des bords d'attaque ou enveloppant complètement l'extrémité des pales pour les hydravions, le métal est donc de retour dans la fabrication des hélices pendant la Grande Guerre, mais seulement pour les usages particuliers qu'on vient d'évoquer.


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La donne change à partir de 1919 avec le retour de la paix. Qu'il s'agisse d'usage civil ou militaire, on demande à l'hélice davantage d'endurance. Plusieurs brevets pour différents procédés destinés à les renforcer sont déposés entre 1919 et 1922. Puis, avec le développement du vol par tout temps, la pratique du blindage au moyen de profils métalliques devient la norme.
D'autre part, les métallurgistes savent maintenant produire des blocs d'alliages légers homogènes d'assez grandes dimensions et sans "pailles". Ils permettent d'envisager de produire soit des hélices "monobloc", soit des pales indépendantes que l'on monte sur un moyeu en acier.
Mais c'est un procédé tout différent qui fait son apparition sur le marché. Au début des années 20, l'américain Sylvanus Reed a déposé plusieurs brevets concernant la fabrication des hélices par torsion d'une "planche" en alliage léger ou en acier. La forme n'est pas très esthétique, mais le coût de production très concurrentiel et ces hélices sont efficaces. En 1924, l'hélicier Pierre Levasseur achète une licence Reed et commercialise ce type d'hélices en France avec un certain succès.


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Chez Ratier, la plus ancienne mention d'une hélice métallique est celle qu'on trouve dans le brevet FR-603100 déposé le 11 septembre 1925. Il décrit une hélice à pas réglable au sol dont les pales sont constituées de deux demi-coquilles en acier assemblées par soudure ou rivetage. La conception du bord de fuite est particulièrement originale et intéressante : il s'agit d'une pièce rapportée par rivetage et dont la souplesse intrinsèque peut être améliorée par des fentes. Ce sont elles qui donnent cette apparence de plumage au bord de fuite : Ratier a toujours été très attentif à la finition de cette partie de la pale.
Les archives Ratier ne nous ont pas permis de trouver une trace de la construction effective de ce type d'hélice.


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La première hélice Ratier métallique dont nous soyons sûrs qu'elle a été construite et avionnée est la série 580, conçue en décembre 1927. Il s'agit d'une hélice de trois mètres de diamètre, réglable au sol, pour avion Potez 25 A2 à moteur Lorraine type Eb de 450 chevaux.
L'hélice est constituée d'un moyeu en acier et de deux pales en Duralumin. La liaison des pales au moyeu est assurée par un filet carré : les pales sont vissées dans le moyeu. Des mâchoires, ou sabots, permettent de bloquer les pieds de pales au moyen de vis. Un contre-écrou dont le pas est inverse de celui du filetage carré complète le blocage de chaque pale dans le moyeu. Un disque gradué et un index permettent de régler l'augmentation ou la diminution d'incidence de la pale par rapport au pas de construction, ceci sans démonter l'hélice.
Les avantages que présentent les hélices à pales rapportées sont nombreux. D'abord pour la construction, cette réalisation permet de peser chaque pale séparément et d'en vérifier rigoureusement le centre de gravité, condition indispensable pour un équilibrage parfait de l'ensemble. Au point de vue de l'utilisation, les pales réglables rendent possible l'emploi de la même hélice pour des cas différents en augmentant ou en diminuant la vitesse de rotation du moteur.
À partir de 1929, ce procédé de construction sera utilisé pour des hélices tripales.


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En 1928 un brevet (FR-656820) est déposé pour une hélice à pas réglable dont les pales sont maintenues grâce à leurs pieds coniques et à des demi-coquilles. Il s'agit d'une simplification du système précédent, conçu pour le Dewoitine D27, mais qui ne semble pas avoir eu de suite.


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Malgré les avantages techniques évidents de l'hélice à pas réglable, dans la foulée, Ratier réalise une hélice métallique monobloc (hélice d'une seule pièce) pour le Potez 25 A2, la série 600. Cette hélice a peut être servi à mesurer les avantages réels de l'hélice à pas réglable, compte tenu de l'augmentation de poids et de coût.
Mais c'est l'invention de la rampe à billes qui permet à Ratier de mettre au point une hélice à pas variable en vol, base de la réussite de l'entreprise dans le domaine aéronautique. Cette invention consiste en un système d'ancrage des pales au moyeu par l'intermédiaire d'une rampe (ou butée) à billes. Cela permet d'équilibrer les forces de rotation qui s'exercent sur la pale et c'est cet équilibre qui autorise la variation d'incidence des pales avec un effort minimal. En effet, le sens d'enroulement de la rampe est tel que le couple de torsion (dû à la résistance de l'air) tend à visser la pale dans le moyeu alors que la force centrifuge tend à la dévisser. Le pas de la rampe à billes est déterminé de façon à ce que le couple de réaction dû à la force centrifuge appliquée sur le filet équilibre exactement le couple de sens contraire dû à la résistance de l'air, et ceci à la vitesse de rotation nominale de l'hélice.
Suite à cette invention, plusieurs mécanismes permettant de faire varier le pas de l'hélice en vol vont prendre naissance chez Ratier. Ce montage utilisant une rampe à billes sera utilisé sur de très nombreux types d'hélices Ratier jusque dans les années 50 et même par la suite pour des productions de Ratier-Figeac.
L'écorché ci-contre correspond au système employé sur les bipales série 1532 dont la variation de pas est obtenue par un pignon (solidaire du pied de pale) animé par une vis sans fin (non représentée). On commence par visser la fourrure sur la pale, puis on monte le pignon sur le pied de pale. La bague en bronze est emmanchée à force sur le moyeu et elle est ajustée pour que le pignon puisse tourner et coulisser sans jeu. L'ensemble demicônes-écrou sert à régler le jeu de la rampe à billes grâce à des fentes dans le moyeu (non représentées sur le dessin) qui permettent de le comprimer autour de la fourrure.


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Une application, développée dès 1928 (brevet FR-663270), concerne une commande manuelle de changement de pas depuis le poste de pilotage.
Les pieds de pales prennent appui dans le moyeu par l'intermédiaire du système déjà décrit plus haut (butée à billes hélicoïdale) qui permet d'orienter les pales avec un effort mécanique minime.
La partie inférieure de chaque pale est traversée par une broche dont l'extrémité est articulée sur une biellette (le moyeu présente une "fenêtre" oblongue permettant la rotation). L'autre extrémité de la biellette est articulée sur un manchon coulissant sur le moyeu ("coulisseau tournant") dont les déplacements longitudinaux sont obtenus par une commande mécanique à distance depuis le poste de pilotage.
L'entraînement du manchon coulissant est assuré par un coulisseau ("non tournant") relié au dit manchon par un roulement à billes spécial, assez rigide pour former butée. Le coulisseau non tournant est lui-même actionné par trois tiges filetées formant vérins dont l'une est commandée directement et transmet sa rotation aux autres par pignons et couronne dentée.


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Avec ce système, la commande manuelle peut être remplacée par une commande électrique : c'est un moteur qui met en rotation l'axe destiné à faire déplacer le coulisseau.
Un moteur électrique d'une puissance de l'ordre d'un dixième de cheval est suffisant pour assurer le fonctionnement d'une hélice même de grand diamètre. Il est fixé directement sur la partie extérieure du mécanisme fixe, et il entraîne l'arbre par l'intermédiaire d'une démultiplication et d'une vis sans fin.
Le tableau de commande dans le poste de pilotage comprend deux boutons poussoirs, l'un pour augmenter le pas, l'autre pour le diminuer. Un tableau indicateur à aiguille indique au pilote la position dans laquelle se trouve l'hélice.
Ce système, qu'il soit purement manuel ou à commande électrique, permet au pilote d'ajuster le pas de l'hélice selon la phase du vol. Il permet aussi de tirer le maximum de rendement du moteur selon l'altitude de croisière par un ajustage précis du pas de l'hélice.
Cependant, dans les phases critiques du décollage et de l'atterrissage, le supplément de travail imposé au pilote peut s'avérer néfaste en cas de situation imprévue. L'oubli de mettre l'hélice en petit pas lors de l'atterrissage, sans conséquence en temps normal (c'est-à-dire si l'avion se pose), peut être catastrophique si une "ressource" s'avère nécessaire : dans ces conditions, la puissance dont le pilote s'attend à disposer n'est pas au rendez-vous.
C'est ce qui a conduit Ratier à poursuivre les recherches destinées à automatiser le changement de pas.


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En 1933, l'hélice pneumatique série 1232 fait son apparition en application du système de la rampe à billes. Ce système suscite notamment l'intérêt de Louis Renault. Paulin Ratier en supervise lui-même le développement, jugé très coûteux. Il s'agit d'une hélice à pas variable à deux positions, adaptée à deux vitesses de vol de l'avion pour un régime moteur donné.
Le changement de pas est automatique. Une chambre à air (une vessie, en bleu sur le dessin) est gonflée avant le décollage. Elle appuie sur un ensemble piston-coulisseau (en rouge) qui maintient en position petit pas chacun des tétons (en bleu) liés aux pales. La valve de la vessie, logée dans le moyeu de l'hélice, subit elle-même l'action d'un deuxième piston assujetti à un disque (en rose) soumis à la pression du vent.
Le système mérite d'être qualifié d'astucieux. En effet, lorsque l'avion atteint une certaine vitesse la pression de l'air, en appuyant sur le disque pousse le piston qui ouvre la valve de la vessie. À ce moment, sous l'action d'un ressort, le coulisseau se déplace, ce qui entraîne la rotation de la pale.
Cependant, il n'est possible de revenir au petit pas qu'après l'atterrissage, arrêt du moteur et remise en pression de la vessie.
 
Ce système de fonctionnement a donné naissance à l'expression gonfleur d'hélice toujours en vigueur dans l'Armée de l'Air !


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Fin 1933, cette nouvelle hélice pneumatique bipale à deux pas est essayée sur Caudron Phalène par le célèbre pilote Raymond Delmotte. Il s'agit de préparer un avion de compétition spécialement conçu en fonction des exigences extrêmes propres à la coupe Deutsch de la Meurthe, le C-362, équipé d'un moteur Renault Bengali.
Le 26 décembre 1933, piloté par Raymond Delmotte, le C-362 donne à Renault un grand succès, le record du monde de vitesse sur 1 000 km pour avions légers dit de deuxième catégorie (dont le poids à vide est inférieur à 450 kg), cela à 332 km/h de moyenne. Le même vol permet d'améliorer le record de vitesse sur 100 km (à 334 km/h) et, de ce fait, c'est une double victoire qui est ainsi remportée.
En 1934, deux hélices utilisant ce système sont montées sur chacun des trois Comet DH-88 participant à la course Londres-Melbourne. La victoire de celui piloté par CWA Scott et Tom Campbell Black assure une publicité mondiale à la Maison Ratier


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Cependant, il semble que la commande de changement de pas par moteur électrique soit une solution qui présente davantage de souplesse d'utilisation. Le montage déjà réalisé sur la base du brevet FR-663270 avait l'inconvénient d'une transmission compliquée et, finalement, assez peu mécanique avec son gros roulement travaillant à la fois en rotation et axialement. Une autre solution existe pour l'emploi d'une commande de changement de pas par moteur électrique : rendre ce moteur solidaire du moyeu et installer un ensemble de bagues collectrices pour transmettre les courants de commandes depuis l'avion. Cette disposition s'appelle "à moteur tournant" et va être largement explorée chez Ratier.
Plusieurs dispositifs seront utilisés pour assurer la rotation des pales : biellettes (avec un téton excentré solidaire du pied de pale), crémaillères ou vis sans fin (avec un pignon solidaire du pied de pale).
Ci-contre à titre d'exemple une hélice bipale à commande de changement de pas par moteur tournant et vis sans fin.
Le moteur électrique entraîne un réducteur comprenant plusieurs trains de réduction à vis sans fin et roue tangente. En fin de chaîne c'est une vis sans fin qui met en rotation un pignon solidaire du pied de pale.
L'ensemble démultiplicateur, d'un rapport de l'ordre de plusieurs dizaines de milliers, assure une irréversibilité absolue du mouvement car il ne faut pas que les efforts auxquels sont soumises les pales puissent entraîner une rotation non commandée. Pour une plus grande sécurité encore, le moteur électrique est muni d'un frein électromagnétique qui le bloque en l'absence de courant de commande.


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La plage de variation de pas est limitée par des rupteurs électriques. Le moteur fonctionne sous une tension de 24 volts continus en utilisation standard sur les avions.
Un collecteur constitué de bagues en cuivre séparées par des isolants est fixé à l'arrière du moyeu (et tourne avec l'hélice). Ces bagues sont reliées électriquement au moteur par des câbles sous tube. Le courant arrive depuis l'avion par l'intermédiaire d'ensembles charbons-porte charbons fixés sur le moteur de l'avion.
Le nombre de ces bagues collectrices dépend de l'utilisation possible de l'hélice : au nombre minimum de trois (augmentation ou diminution du pas et commun), elles doivent être au nombre de quatre pour disposer de la position "drapeau" et de cinq pour disposer de la position "reverse" sur les hélices prévues à cet effet.
Ces bagues peuvent être disposées concentriquement (comme sur le schéma) ou l'une derrière l'autre.


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Deux applications particulières utilisant le moteur tournant méritent d'être mentionnées : dans les deux cas, il s'agit d'hélices "à moteur creux". On entend par là que le système (le moteur) qui commande la rotation des pales laisse un passage au centre du moyeu qui permet d'y loger le fût d'un canon.
On notera que cette disposition de tir au travers du moyeu de l'hélice existe au moins depuis 1916 avec les essais réalisés par Marc Birkigt chez Hispano-Suiza et concrétisés sur les avions SPAD XII et dérivés. Si cette solution est très simple côté hélicier pour les hélices à pas fixe, il en va autrement pour les hélices à pas variable. Le mécanisme doit être conçu de manière à dégager entièrement la partie centrale.


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En mai 1935, Ratier dépose un brevet (FR-802797) pour une nouvelle hélice à pas variable automatiquement en vol. L'originalité de cette hélice est que la commande de pivotement des pales est assurée par un moulinet aérien avec interposition d'un démultiplicateur. Le moulinet est placé coaxialement à l'hélice et en avant de celle-ci. Des butées de grand et de petit pas limitent le déplacement angulaire des pales. Pour éviter les chocs à fond de course, le mouvement du moulinet est transmis via un embrayage à friction formant limiteur de couple.
L'hélice elle-même est semblable à la précédente : chaque pale est solidaire du moyeu par l'intermédiaire d'une rampe à billes hélicoïdale et la rotation des pales est assurée par des biellettes solidaires d'un manchon coulissant.

Le moulinet est une petite hélice de même sens que l'hélice tractive de l'avion. Le mécanisme démultiplicateur est construit de telle façon que, si le moteur de l'avion étant à l'arrêt, on tourne à la main le moulinet dans le sens opposé à celui de l'hélice, le mécanisme fait pivoter les pales vers le petit pas (et vers le grand pas dans l'autre sens). Donc, quand on met le moteur en marche, l'hélice se met à tourner mais, à cause de la résistance de l'air, le moulinet à tendance à prendre du retard et le mécanisme fait pivoter les pales jusqu'à la butée de petit pas. À ce moment, le moulinet est contraint de tourner à la même vitesse que l'hélice, le choc ayant été amorti par le système d'embrayage.
Quand l'avion prend de la vitesse, le moulinet est soumis à un vent de plus en plus fort qui a tendance à le faire tourner dans le même sens que l'hélice. À partir d'une certaine vitesse (de l'avion) cette tendance conduit le moulinet à tourner plus vite que l'hélice, ce qui fait tourner le démultiplicateur dans le sens qui fait passer l'hélice au grand pas. Une fois atteinte cette position, le moulinet se retrouve contraint de tourner à la même vitesse que l'hélice, le choc étant amorti, comme précédemment, par le système d'embrayage.
Les vitesses et configuration de vol auxquelles se produisent les changements de pas dépendent du réglage initial (au sol) des pales du moulinet.


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En 1937, Ratier dépose trois brevets concernant une machine à tailler les pales par reproduction. Plusieurs constructeurs avaient employé des machines à reproduire pendant la première guerre mondiale pour les hélices en bois mais elles avaient pratiquement disparu depuis.
Celle que fait construire Ratier permet de fabriquer trois pales à la fois à partir de trois ébauches et d'une pale modèle. C'est en effet la grande époque des tripales et la machine permet ainsi d'obtenir un jeu de pales complet. Longue de cinq mètres, elle pesait 36 tonnes, et deux furent construites pour être utilisées à Figeac. On y construit alors, en 1938, une centaine d'hélices par mois et l'entreprise s'apprêtait à monter en cadence.
L'une des deux a été détruite pendant la guerre lors d'une opération de sabotage et l'autre restera en service jusque dans les années 80. Les anciens de l'entreprise se souviennent tous du bruit très particulier qu'elle produisait.


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En avril 1938 Ratier dépose un brevet (FR-844832) pour une hélice dont la variation de pas est commandé depuis un moteur fixe qui transmet le mouvement aux pales par l'intermédiaire d'un double différentiel et de vis sans fin qui agissent sur les pignons solidaires des pieds de pales. C'est l'emplacement du moteur qui a fait donner le nom de "à commande arrière" à cette hélice. L'avantage par rapport au premier dispositif à moteur fixe de 1928 est de n'utiliser que des mouvements de rotation. Ce système présente deux avantages flagrants : diminution de la masse de la partie tournante et diminution du poids en porte-à-faux sur l'arbre de l'hélice.
L'illustration reprend les plans d'une hélice dont l'ancrage des pales utilise un montage plus tardif ("à butées plates").

Le mécanisme de variation de pas est constitué par un système différentiel situé dans un boîtier fixé sur le moteur de l'avion derrière l'hélice. Le moteur électrique de changement de pas est monté sur le boîtier et entraîne la couronne du premier différentiel via une première démultiplication (en gris). Un système à cliquets doubles immobilise le moteur lorsqu'il est au repos. Leur action d'irréversibilité s'ajoute à celle d'un frein magnétique.
Le changement de pas s'opère par l'intermédiaire de deux trains de planétaires (en rose et en bleu) et de satellites (en bleu clair et en orange) qui sont placés côte à côte, possèdent le même nombre de dents, et sont réunis par un porte-satellites. Les satellites sont montés fous sur deux roulements à billes.
Deux grandes couronnes (en rouge et en vert) à denture intérieure de même nombre de dents engrènent chacune sur une rangée de satellites (en bleu clair et en orange).
Le planétaire du premier différentiel (en rose) est solidaire du moyeu d'hélice par des ergots et des rainures, l'autre planétaire (en bleu), monté sur palier lisse, est relié à une roue (en jaune) engrenant avec les pignons qui sont montés sur les vis sans fin de commande de pied de pale.
Les nombres de dents des engrenages de chacune des deux rangées étant respectivement égaux (planétaire, satellite, denture intérieure des grandes couronnes), les vitesses des deux planétaires (bleu et rose) sont égales lorsque le moteur électrique ne tourne pas et le pas de l'hélice reste fixe.
Les dentures extérieures des deux grandes couronnes (en rouge et en vert) n'ayant pas le même nombre de dents, ces couronnes sont, lorsque le moteur électrique tourne, entraînées à des vitesses légèrement différentes l'une par rapport à l'autre, par l'intermédiaire des pignons doubles (en violet) dont les nombres de dents sont inégaux.
Cette différence de vitesse est reportée par les satellites sur les planétaires (satellites orange vers planétaire bleu, et satellites bleu clair vers planétaire rose).
Le planétaire qui est solidaire de l'arbre porte-hélice (celui en rose) ne pouvant pas changer de vitesse, c'est celui qui est relié au pignons des vis sans fin des pieds de pales (celui en bleu) qui se décale et provoque (via le pignon jaune et la vis sans fin solidaire) la rotation des pales.
La démultiplication totale est de 18 871 tours du moteur électrique pour un tour de pale.


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En février 39, Ratier dépose un brevet (FR-856490) pour un nouveau système d'ancrage des pales dans le moyeu qui semble mettre fin à l'emploi de la rampe à billes qui avait "fait la fortune" de la Maison. Ce nouveau type d'ancrage a pour avantage de faciliter le montage et le démontage des pales en dehors de l'entreprise, ce qui simplifie grandement le transport, les hélices étant "en caisse" avec les pales démontées. Un autre avantage est de supprimer le déplacement axial lors de la rotation des pales dans leurs fourrures : avec le système de la rampe à billes, quand l'hélice pivote lors des changements de pas, elle se visse ou se dévisse. Cela entraîne, pour un quart de tour de pale un déplacement axial de 2,5 mm environ et la nécessité que l'engrènement puisse tolérer ce déplacement.
Ce problème n'existe pas avec la butée plate, par contre l'effort pour faire pivoter la pale est important. Ceci est partiellement compensé par la possibilité de transmettre le mouvement de rotation aux pales par des vis tangentes et des pignons dont les dentures sont courbes de façon à augmenter les surfaces de contact.


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Pour les hélices à commande électrique de changement de pas, il est possible d'assurer l'ajustement manuellement (depuis un boîtier électrique) ou automatiquement, au moyen d'un régulateur. Les deux possibilités peuvent être offertes conjointement par l'utilisation d'un boîtier qui laisse au pilote le choix de régler lui-même le pas ou de laisser agir l'automatisme.
Le régulateur est un dispositif qui permet de maintenir constant le régime de rotation du moteur de l'avion en faisant varier le pas de l'hélice : si le régime moteur augmente de lui-même, le régulateur provoque l'augmentation du pas de l'hélice (ce qui fait diminuer la vitesse de rotation du moteur). Et le contraire en cas de diminution du régime moteur.
Chez Ratier, ce dispositif est basé sur le principe du régulateur centrifuge entraîné mécaniquement par le moteur de l'avion, soit directement, soit par l'intermédiaire d'un flexible. De plus, il est aussi relié mécaniquement à la commande du (ou des) carburateur(s) de façon à ce que le régime régulé soit fonction de la position de la manette des gaz.
 
Fonctionnement : les masselottes (en bleu) sont articulées sur un porte-masselottes (en orangé) entraîné par le moteur de l'avion via un flexible. La force centrifuge fait pivoter les masselottes qui soulèvent un poussoir (en rouge). Ce poussoir transmet, par l'intermédiaire d'un roulement, son mouvement axial à une cuvette (en rose), à condition que la force soit suffisante pour comprimer un ressort compensateur (en jaune). Un doigt, solidaire de la cuvette, agit sur le contact central d'un inverseur électrique qui détermine le sens de la rotation du moteur électrique de changement de pas. À noter que l'inverseur électrique a une position "neutre" : sur une plage d'environ 50 tours/mn, aucun des contacts n'est fermé.
Un mécanisme (en bleu clair) permet de comprimer plus ou moins le ressort compensateur (en jaune) en fonction de la position de la commande de gaz du moteur, reliée par une tringlerie au levier Lg : pour ce faire, un pignon, solidaire du levier, agit sur une crémaillère qui fait monter ou descendre une cloche sur laquelle s'appuie le ressort compensateur.  
 
 
 


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Il fallait créer pour l'aviation de tourisme une hélice à pas variable légère, simple, d'un prix abordable et ne demandant aucun entretien. L'hélice Heramatic, brevetée en 1948, répond à ce besoin. Le fonctionnement est entièrement automatique, c'est-à-dire que la commande de cette hélice ne nécessite aucune intervention du pilote.
Le moment centrifuge des masselottes engendré par la rotation de l'hélice s'oppose au moment dû aux forces aérodynamiques, ainsi qu'au couple centrifuge exercé par les pales elles-mêmes. Les valeurs de la traction et de la force centrifuge déterminent un pas tel que la position de la manette des gaz est toujours à peu près la même pour un régime donné, indépendamment de la vitesse de l'avion. L'hélice n'est cependant pas à régime constant quelle que soit la position de la manette des gaz, ce qui serait un défaut très grave du point de vue de la consommation d'essence en croisière. Au contraire, lorsque la position de la manette des gaz varie, l'hélice se comporte comme si elle était à pas fixe. Par exemple le pas de croisière correspond au pas de vitesse maximum.
À noter que pour assurer un pas identique aux deux pales, chacune des fourrures est solidaire d'un téton auquel est assujettie une biellette. Les deux biellettes sont reliées à une même pièce mobile : la synchronisation de la rotation des pales est ainsi assurée.

Les pales, en duralumin, ont une forme très spéciale si on les compare à celles des autres hélices. Elles sont vissées dans une fourrure et leur ancrage dans le moyeu est assuré de la même façon que pour les hélices à commande arrière : elles sont donc amovibles aussi facilement, et les colliers qui en assurent le serrage portent les masselottes.
La fixation de l'hélice sur le moteur se fait par l'intermédiaire d'un plateau porte-hélice, qu'on peut aussi bien adapter sur un bout d'arbre canneluré que sur un bout d'arbre conique.


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Dans les années 40, après la deuxième guerre mondiale, Ratier s'intéresse aux hélices à commande hydraulique. Ce procédé consiste à employer la pression fournie par des pompes pour commander le mouvement de rotation des pales. Le premier brevet, déposé en 1949, correspond à une hélice à "simple effet", c'est-à-dire que la pression hydraulique commande la rotation des pales dans un sens, mais le retour à la position d'origine est mécanique, par exemple au moyen de ressorts (brevet FR-1 011 818) ou grâce à la géométrie du montage de l'hélice pour la série 2304 pour avion Morane 733 "Alcyon".
Dans la série 2304, la rampe de la butée à billes est telle que la force centrifuge a tendance à mettre les pales dans la position du grand pas. La pression hydraulique, issue du régulateur, agit sur un ensemble piston-crémaillère. Quand elle augmente, les pales tournent vers la position petit pas.


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Un peu plus tard, en 1956, Ratier commercialise une hélice hydraulique dite "à double effet". Cette hélice série 2392 est destinée aux avions Nord 3202 et 3400 équipés du moteur Potez 4D30.
L'effort hydraulique est produit par une pompe à engrenages incorporée dans un régulateur centrifuge. Celui-ci peut distribuer la pression sur chacune des faces d'un piston lié aux pales par des crémaillères. Selon la face du piston soumise à la pression, les pales tournent dans un sens ou dans l'autre, amenant l'hélice soit vers le petit pas, soit vers le grand pas.
Le régulateur centrifuge à double effet est constitué de trois carters superposés et sa pompe est entraînée par le moteur de l'avion dont elle utilise l'huile. Un tiroir* à double effet agissant sous l'action de la force centrifuge des masselottes distribue l'huile dans les deux circuits allant au mécanisme de changement de pas de l'hélice.
À l'opposé de la prise de mouvement du régulateur on distingue le levier du dispositif de commande de régime qui est relié au poste de pilotage par une tringlerie.
 
* pièce coulissante spécifique aux circuits de distribution de fluides et qui permet d'ouvrir ou de fermer des circuits.


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Les premières hélices Ratier métalliques à pas réglable au sol qui ont dépassé le stade du prototype datent de la fin des années 20. Le début des années 30 voit se généraliser leur utilisation en même temps qu'apparaissent les premières hélices à pas variable en vol.
L'utilisation des hélices à pas variable en vol apporte des avantages considérables mais demande une attention supplémentaire aux pilotes. Par la mise au point d'hélices dont le changement de pas est automatique au moyen de différents systèmes, Ratier a réussi à amener l'ensemble moto-propulseur (moteur + hélice) à un rendement optimal.
Ces recherches continues ont apporté à la Maison Ratier une renommée mondiale accompagnée de succès commerciaux largement mérités.
Plusieurs représentations sont ouvertes, notamment à Alger, Casablanca et Genève. Il s'agit de représentations techniques qui assurent la maintenance et le suivi des hélices et de leurs équipements. Ce service après vente fait appel à des personnels qui n'hésitent pas à se déplacer dans le monde entier en cas de besoin ce qui contribue largement à la renommée de l'entreprise. Le décès de Paulin Ratier en 1939 et la deuxième guerre mondiale bouleversent l'organisation de l'entreprise. La production d'hélices se poursuit cependant tant à Montrouge, sous la direction de René, le fils aîné, qu'à Figeac, sous la direction de son frère Pierre. La séparation des unités de production aboutira à la création de RAM (Ratier Aviation Marine) à Montrouge et de Ratier-Figeac.
Après rachat par la CSF (Compagnie de télégraphie Sans Fil) des ateliers Ratier de Montrouge en 1959, la totalité de la production d'hélices Ratier se trouve regroupée à Figeac sous la raison sociale Ratier-Figeac.
 
Dans les années 2000, au sein du groupe Hamilton-Sundstrand, Ratier-Figeac devient un leader mondial dans le domaine des hélices.
Depuis septembre 2012, après la fusion entre Hamilton Sundstrand et Goodrich, Ratier-Figeac fait partie d'UTC Aerospace Systems, la branche d'industrie aérospatiale d'UTC.


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Texte : © Pierre-Michel Decombeix et Yves Sounillac
Origine des images (de haut en bas) :
1 et 2 : PMD,
3, 4, 5, 8, 22 et 23 : extraits de brevets,
6, 9, 11, 17, 18, 19, 20, 24, 25 et 26 : archives Ratier,
7, 10, 12, 13, 14, 15, 16 et 21 : Pierre Léglise, Les hélices Ratier à pas variable, dans l'Aéronautique n°238, 240 et 244.
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