Les hélices Ratier en bois.

 

De 1910 à août 1914, Paulin Ratier a fabriqué des hélices de marque Rapid en association avec Bertrand Montet, détenteur de la marque. Ces hélices avaient connu de bons succès et Louis Breguet en avait équipé certains de ses avions. On sait aussi que Paulin Ratier avait fourni des ébénisteries à la Maison Breguet de Paris (rue Didot), qui était la branche "électricité" de l'entreprise familiale Breguet.
À la déclaration de guerre, Paulin est mobilisé : son entreprise se trouve arrêtée. L'activité reprend progressivement à partir de novembre 1914. Louis Breguet confie à Paulin Ratier, dont il connaît la qualité du travail, la fabrication et l'assemblage des éléments en bois de 60 avions Voisin III qu'il doit construire sous licence. C'est cette commande, qui sera suivie de beaucoup d'autres, qui est à l'origine de l'entrée de la Maison Ratier dans le cercle des fournisseurs de l'Aviation Militaire pour les matériels de guerre.
 


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Fin 1914, le contrat qui liait Paulin à Bertrand Montet arrive à son terme et ne sera pas renouvelé, l'entente entre les deux hommes s'étant détériorée depuis 1913. Paulin retrouve donc sa liberté et décide de fabriquer des hélices sous sa propre marque. Elles se distinguent par un insert en laiton Ratier sur chaque pale.
La première hélice commercialisée est destinée aux avions Voisin que les autorités militaires ont commandés à Breguet.
Parallèlement, Louis Breguet poursuit ses propres études et entreprend la construction de prototypes, à moteur arrière dans un premier temps. Ratier fournira les hélices pour chacun d'entre eux. Ces prototypes donneront naissance à une douzaine de modèles et aboutiront à la construction d'environ 600 appareils, dont certains par Michelin à Clermont-Ferrand.
Les hélices Ratier propulsives séries 7 et 7bis destinées aux avions Breguet et Breguet-Michelin équipés du moteur Renault 220 chevaux seront les premières fabriquées en grand nombre par Ratier : près de 300 exemplaires de la série 7 et plus de 1 000 de la série 7bis seront livrées de la mi-1915 à début 1917.


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Chez Ratier, il est clair que les fabrications aéronautiques, hélices, voilures et pièces de structure, dépendent de l'activité de la Maison Breguet.
Or, au cours de 1916, les militaires changent de stratégie quant à l'emploi de l'aviation, qui se voit confier de nouvelles missions. Elles nécessitent des appareils nouveaux à la fois plus rapides, pouvant transporter des charges plus lourdes, et, surtout, plus aptes au combat aérien. Est-ce la fin des avions à moteur arrière ?
Fort de réalisations d'avant guerre, il ne faudra à Breguet que quelques mois pour réaliser un prototype répondant aux nouvelles prescriptions. L'AV1 ("AV" probablement pour moteur avant), réalise ses premiers vols en novembre 1916. Cette étude sera finalisée début 1917 et s'avèrera une formidable réussite sous la dénomination Breguet XIV.
Ratier a fourni les voilures et étudié les hélices pour ces différents prototypes, mais cela ne représente qu'une activité marginale et peu rentable. La période est commercialement "creuse" pour la Maison : le deuxième semestre de 1916 voit la production aéronautique tomber, partiellement compensée par les fabrications d'ébénisteries pour divers appareils électriques à usage militaire.


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Les premières commandes de Breguet XIV pour l'Armée datent de la fin du premier trimestre de 1917. Chez Ratier, c'est aussitôt la reprise de l'activité aéronautique avec la fourniture pour cet avion de voilures et d'hélices.
Ces productions ne cessent d'augmenter jusqu'à la fin du conflit, allant jusqu'à dépasser 80% de l'activité de l'entreprise. En 1918, jusqu'à cinq voilures de Breguet XIV sortent chaque jour des ateliers Ratier. Au bout du compte, plus de 1 000 voilures (4 000 demi-ailes !) auront été fabriquées, ce qui représente une activité considérable et méconnue de la Maison Ratier. C'est aussi, à l'évidence, le résultat d'indéniables qualités d'organisation.


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Pour la fabrication des voilures, il suffisait, en quelque sorte, de se conformer aux plans fournis par Breguet et d'utiliser convenablement des matières premières de qualité.
Pour les hélices, Ratier doit, de plus, les concevoir. Or, l'adaptation* d'une hélice à un ensemble avion-moteur-utilisation est particulièrement délicate car elle dépend de plusieurs facteurs interdépendants. À cette époque, les héliciers, comme les avionneurs, disposaient de formules jalousement gardées qui permettaient de prévoir à l'avance les performances des matériels, mais sans atteindre une précision suffisante. Les séries d'hélices finalement commercialisées étaient donc le résultat de nombreux essais, et de plus, parmi celles-ci, peu connaissaient une production importante. C'est ainsi que seules 13 séries ont été vendues à plus de 50 exemplaires parmi les 108 conçues par Ratier de début 1915 à fin 1918.
Les hélices destinées au Breguet XIV méritent une mention particulière, avec plus de 13 000 qui seront finalement produites pour les différentes motorisations de l'avion : environ 1 000 hélices de la série 67 (moteur Liberty), plus de 2 000 de la série 42bis (moteur Fiat) et plus de 10 000 de la série 34 (moteur Renault).
Le succès de cette série 34 est, à l'évidence, lié à son adaptation* particulièrement réussie d'après les chiffres publiés par le Capitaine Legras alors qu'il dirigeait le département hélices du SFA (Service des Fabrications de l'Aviation [Militaire]) : son recul** de 5% est inférieur de moitié à celui des autres hélices essayées.
En 1918, la demande d'hélices sera telle que Ratier devra concéder des licences de fabrication, en particulier à Tony Selmersheim, inventeur d'une machine à tailler les hélices par reproduction.
 
*Adaptation : une hélice est bien adaptée quand elle permet à l'avion d'atteindre au moins les performances prévues tout en exploitant au mieux les capacités du moteur.
**Recul : le recul est la différence entre l'avancement théorique de l'hélice (mathématiquement lié au pas et à la vitesse de rotation du moteur) et l'avancement réel de l'avion.


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En 1917, la méthode générale de construction des hélices, consistant à empiler des planches préalablement découpées, n'a pas varié depuis l'avant guerre. Cependant, l'emploi des colles et les bois autorisés ont évolué. Le noyer et l'acajou des premières hélices Ratier est remplacé par le hêtre. Les colles à chaud, par exemple les colles "de Givet" ou "de Lyon", sont remplacées par la colle à la caséine, qui s'emploie à froid mais impose un serrage des bois beaucoup plus fort et par suite l'utilisation de nouvelles presses.
Quant au travail de fabrication lui-même, il évolue peu. Il s'agit toujours, pour les ouvriers, de réaliser l'hélice manuellement à partir du bloc (l'assemblage des planches prédécoupées et collées). Plusieurs fabricants ont tenté de mettre au point des machines permettant une fabrication semi-automatisée, sans résultats vraiment probants. Elles ne permettent pas un gain de temps appréciable, mais autorisent, toutefois, l'emploi d'ouvriers non spécialisés.
Une autre méthode de fabrication, consistant à utiliser des planches très fines mises en forme à chaud, a connu un certain succès bien qu'elle implique une plus grande perte de bois.
Pour sa part, Ratier s'en est tenu à la méthode traditionnelle.


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Pour ce qui est de la protection des hélices face aux agressions extérieures, c'est un verni à base de gomme laque qui est employé jusqu'en 1917. Il s'avère cependant que la laque dite "du Tonkin" est plus efficace d'après des études effectuées en 1917 par le Laboratoire de l'Aéronautique à Chalais-Meudon. En 1918, la Société d'Expansion Française en Extrême-Orient, qui a pour but l'exploitation des produits des colonies françaises d'Indochine, donne naissance à la S.E.L.T. (Société d'Exploitation des Laques Tonkinoises) et dépose la marque Tonkilaque. Ce sera pratiquement la seule entreprise française à pratiquer le laquage des hélices et presque tous les héliciers y auront recours à l'exception notable de Georges Merville qui lance sa propre marque d'hélices vers 1922.
C'est ainsi qu'à part quelques exceptions pour des usages particuliers, toutes les hélices Ratier des années 20 sont laquées et l'insert en laiton est remplacé par une décalcomanie. Sur la photo ci-contre, toutes les hélices sont laquées noir. Au centre, une quadripale de 1 000 chevaux destinée au Breguet XX "Léviathan" équipé d'un moteur Bugatti.


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Jusque fin 1923, la production d'hélices Ratier concerne presque exclusivement les séries destinées aux Breguet XIV. C'est l'emploi de cet avion par des entreprises civiles qui permet le maintien et même l'augmentation de cette production d'hélices. Cependant, les Breguet XIV sont peu à peu remplacés par les Breguet 19 dont le constructeur a dessiné ses propres hélices. Ratier en fabriquera près de 1 000 sous licence et fournira à Breguet plus de 800 "blocs", c'est-à-dire l'assemblage de planches détourées et collées. Ces prestations de sous-traitance en matière d'hélices cessent à la fin des années 20 quand Ratier se tourne vers les productions métalliques.


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De 1921 à 1928, les constructeurs d'avions présentent un grand nombre d'appareils nouveaux. Afin d'assurer une présence sur ces marchés potentiels, Ratier conçoit près de 500 séries d'hélices pendant la même période.
Ce n'est qu'à partir de 1924 que cette stratégie s'avère payante. Cependant la production diminue jusqu'en 1926 : nombre d'avions nouveaux restent à l'état de prototypes et les ventes des nouvelles séries d'hélices ne parviennent pas à compenser l'abandon de celles conçues avant 1920.
Pendant cette période, seules 11 séries d'hélices ont dépassé une production de 50 exemplaires. Les principales marques d'avions équipés ont été SPAD, Potez, Dewoitine, Nieuport et Farman.
 
La première hélice Ratier métallique, la série 580, date de la fin 1927. Elle ne marque pas l'arrêt de la conception de nouvelles séries d'hélices en bois qui continuera jusqu'en 1930, puis ira décroissant jusqu'à la deuxième guerre mondiale. Au-delà, il ne s'agira que d'une activité marginale.


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Texte : © Pierre-Michel Decombeix et Yves Sounillac
Origine des images (de haut en bas) :
1 : Carte postale ancienne italienne "Fotocromia",
2 : reproduction de carte postale ancienne,
3 : photo France-Reportage n°449, juin 1912,
4 et 6 : De Brunoff, L'Aéronautique pendant la Guerre Mondiale, Paris, s.d.,
5, 7, 8 et 9 : archives Ratier.
 
Version de la page : 22/03/2021.

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