Les hélices Rapid.

 

C'est en 1783, avec l'invention des frères Montgolfier, que l'homme s'élève pour la première fois dans les airs de manière autonome et durable. La Montgolfière est née, mais elle reste soumise aux caprices du vent comme les ballons à hydrogène qui lui succèdent. Dès 1784, le français Jean-Pierre Blanchard tente de diriger ses vols au moyen d'espèces de rames, mais il faut attendre les expériences d'Henri Giffard en 1852 pour voir évoluer un véritable dirigeable. C'est une hélice qu'il emploie pour la propulsion et c'est désormais ce moyen qui sera privilégié pour se déplacer dans les airs.


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Après quelques tentatives sans lendemain, le tout début du XXe siècle voit les premiers essais d'envol d'engins motorisés "plus lourds que l'air". Certains concernent des machines à ailes battantes ou à voilure tournante, mais la plupart sont des aéroplanes, dont le déplacement est produit par une ou plusieurs hélices tournant dans un plan à peu près vertical.


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De formes parfois surprenantes, ces hélices sont aussi diversement construites. Si certaines ont été fabriquées en matériaux légers, l'augmentation de la puissance des moteurs et des vitesses de rotation a rapidement nécessité une construction plus solide. La plupart des constructeurs se tournent vers le métal : des palettes, en acier ou en aluminium sont fixées sur des bras en acier.
Cependant le métal souffre des vibrations des moteurs qui le "déstructurent" : la rupture de l'hélice entraîne la projection de débris dangereux. L'accident du dirigeable "République" par suite de la rupture d'une hélice en septembre 1909 sonne le glas de ce procédé de construction. Les fabricants se tournent alors presque tous vers le bois, et si certains se servent de bois massif, la plupart utilisent le procédé dit "du bois superposé" dont la paternité en matière d'hélices est traditionnellement* attribuée à Lucien Chauvière.
 
* Certains documents suggèrent que l'anglais Horatio Phillips a utilisé en 1893 une hélice ainsi construite ("laminated wood") lors d'essais d'un aéroplane.


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Il s'agit de la technique bien connue des modeleurs-mécaniciens qui consiste à coller ensemble des planches préalablement découpées selon un contour très proche de la forme que doit avoir chacune dans l'hélice. L'assemblage ainsi réalisé, appelé bloc, présente des "marches" qui sont supprimées à la scie à ruban et au rabot : c'est le débillardage. Puis on utilise des gouges, des planes et des wastringues pour parfaire la surface qui est finalement poncée au papier de verre.
Pour les hélices, cette méthode permet d'orienter chaque planche selon les fibres du bois ce qui augmente la résistance à la force centrifuge. Elle permet aussi, en inversant dans le sens de la longueur une planche sur deux, d'obtenir un meilleur équilibrage, car l'extrémité qui était du côté du pied de l'arbre est plus dense que l'autre. Enfin, en croisant les fibres d'une planche à l'autre, l'hélice sera moins sujette aux déformations.
Dès 1905, Lucien Chauvière avait réussi à fabriquer selon ce procédé une hélice de plusieurs mètres de diamètre pour le dirigeable "Clément Bayard" et, en 1907, une hélice de ce type est montée sur l'aéroplane d'Alfred de Pischoff.


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À partir des années 1907, 1908 et surtout 1909, tout s'accélère. L'aviation prend son essor et avec elle la demande d'hélices.
Certains constructeurs d'avions fabriquent eux-mêmes leurs hélices, mais la plupart s'adressent à des spécialistes. C'est la naissance d'un nouveau métier qui ne sera nommé que plus tard : hélicier. La théorie de l'hélice est loin d'être aboutie et chacun y va de la sienne, ce qui conduit à des profils très variés. Certains sont le résultat d'études expérimentales ou théoriques plus ou moins pertinentes, mais la plupart de ces profils ne sont issus que de l'empirisme, voire, peut-être, de la seule volonté de se distinguer.
S'il a vraisemblablement existé des dizaines d'artisans qui se sont lancés dans l'aventure, la plupart resteront à tout jamais inconnus et vers 1911-1912 une quinzaine de marques se partagent la quasi totalité du marché. Mais l'aviation évolue très vite : à la veille de la première guerre mondiale, moins d'une demi-douzaine de fabricants équiperont les avions militaires.


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Carte commerciale vers 1912 Jusqu'en 1910, les activités principales des ateliers de Paulin Ratier se partagent entre celles d'une scierie mécanique et la fabrication d'ébénisteries pour appareils électriques. Cette année là, Paulin Ratier s'associe avec Bertrand Montet, un ingénieur des Arts & Métiers, pour fabriquer en série des hélices sous la marque Rapid.
C'est Bertrand Montet, détenteur de la marque déposée en janvier 1910, qui a la charge de la commercialisation des hélices.
Paulin Ratier en assure toutes les étapes de la fabrication, depuis le sciage des grumes jusqu'au vernissage final.
Quant à la construction d'aéroplanes, mentionnée sur la carte commerciale, nous n'en avons à ce jour pas trouvé trace dans les archives avant 1915.


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L'atelier de Malakoff Par contre, ces mêmes archives montrent clairement que Paulin Ratier a procédé à des aménagements importants et spécifiques pour la fabrication des hélices début 1910. Il s'agit donc d'une décision qui engage durablement l'entreprise sur le marché de l'aéronautique.
Nous avons retrouvé une photographie de cet atelier. Il s'agit d'une carte postale expédiée de Malakoff le 1er août 1912 par Adrien Eché, un compagnon de Paulin qui figure sur l'image, le deuxième en partant de la gauche au deuxième rang.
Ces cartes-photos étaient une pratique courante à cette époque où les appareils photographiques étaient peu répandus : les photographes se déplaçaient sur demande et pouvaient fournir leurs tirages sous forme de cartes postales pour en faciliter l'expédition.
Il y a tout lieu de croire que le cliché a été pris peu avant l'envoi de la carte.


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Les hélices Rapid connaissent assez vite le succès et les ventes "décollent" dès 1911. Plusieurs records sont battus par des avions qui en sont équipés, en particulier les Deperdussin. Sommer propose l'hélice Rapid en monte standard sur les avions qu'il commercialise. Les registres conservés montrent qu'il existait des modèles pour la plupart des avions de l'époque et un tableau de 1912 à destination des autorités militaires mentionne 18 séries d'hélices.
De 1910 à août 1914, au moins 84 modèles auront été commercialisés et plus de 1 600 hélices seront vendues.
Bertrand Montet et Paulin Ratier sont tous deux mobilisés dès la déclaration de guerre. Les fabrications sont arrêtées et celle des hélices Rapid ne reprendra pas chez Ratier : le contrat d'association se termine fin 1914, avant que les ateliers ne reprennent leur pleine activité, et Paulin ne souhaite pas le renouveler.


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La marque Rapid aura donc véritablement vécu moins de cinq ans, du milieu de l'année 1910 à la déclaration de la première guerre mondiale. Elle va cependant se réincarner, si l'on peut dire, car Paulin Ratier va entreprendre la construction d'hélices sous sa propre marque dès 1915 et, à l'évidence, le profil des hélices Ratier s'inspire fortement de celles qu'il construisait pour Bertrand Montet.
Les hélices Rapid se reconnaissent à leurs bords d'attaque rectilignes parallèles et un bord de fuite convexe. Elles peuvent être ou non entoilées. Celles que nous connaissons sont construites en noyer mais l'acajou aurait aussi été utilisé.
En avril 2010, nous avons eu la chance de trouver une hélice Rapid dans son état d'origine et presque intacte. C'est une série AX n°99, dont les archives nous disent qu'elle était destinée au représentant de la marque en Angleterre. Par quel hasard est-elle revenue en France ? En tout cas, c'est grâce à Nathalie Bernard (Art Dépôt, Paris) qu'elle a pu rejoindre notre collection dont elle est devenue l'une des pièces maîtresses.


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Texte : © Pierre-Michel Decombeix et Yves Sounillac
Origine des images :
1 : partie d'une gravure ancienne,
2, 3, 5 et 8 : cartes postales anciennes,
4 : publicité extraite de Victor Tatin, Éléments d'Aviation, Dunod & Pinat éd., Paris, 1908,
6 : archives Ratier,
7 : collection particulière,
9 : Nathalie Bernard (Art Dépôt, 3 rue du Pont Louis Philippe, Paris).
 
Version de la page : 22/08/2017.

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